Chez nous, c’est devenu un running gag. Chaque année, à la fête des mères, je glisse à mon fils un petit :
— Et alors, mon cadeau ?
Il me répond, mi-sérieux, mi-espiègle :
— Il arrive, patience…
Spoiler : il n’arrive jamais. Mais c’est notre rituel, notre langage à nous. Un jeu d’amour discret, une danse entre le prévisible et la surprise qui ne viendra pas.
Et puis cette année, quinze jours après la fameuse fête, alors qu’on est attablés pour le traditionnel repas du dimanche, voilà que je reçois un paquet.
— Tu l’ouvriras après, me dit-il.
Je souris. Parce que je sais ce qu’il y a dedans. C’est moi qui l’ai commandé. Une petite vanille bien choisie, pour le plaisir… et aussi pour la blague.
Plus tard, il m’autorise :
— Tu peux ouvrir.
Je joue le jeu.
— Oh, mon parfum préféré ! Tu vois, il est arrivé, ton cadeau du 5 juin.
Il sourit. Mais quelque chose tremble dans son regard.
— Oui, oui, c’est… c’est moi qui…
Il bafouille un peu. Il tangue.
— Enfin, c’est un cadeau du ciel.
— Du ciel ?
— Oui… j’ai demandé qu’on t’envoie quelque chose. Et voilà, c’est arrivé.
Et là, je le vois : en lutte avec lui-même. Pris dans ce piège tout doux que j’ai tissé sans le vouloir. Il cherche un équilibre entre ne pas me décevoir et ne pas trahir ce qui est juste pour lui. Il cherche un pont entre l’amour et la vérité. Et il vacille.
Je pourrais continuer à rire, à le taquiner. Mais je sens son malaise. Alors je lui tends la main.
— C’est moi qui ai commandé le parfum.
Et là, il éclate de rire. Soulagement. Légèreté retrouvée.
— Maman… c’était horrible. Je me suis dit “c’est une aubaine !” Et puis j’ai hésité, j’ai tergiversé. J’ai voulu y croire, j’ai voulu que ce soit vrai, et en même temps, je ne voulais pas te mentir. J’étais perdu.
Et c’est là que tout prend une autre dimension. Ce moment, si léger au départ, devient une leçon. Parce que parfois, ce qui ressemble à un cadeau est un test. Un test de fidélité à soi-même.
Il aurait pu glisser dans la facilité, s’emparer de la surprise et s’en attribuer les mérites. Mais il a résisté. Il est resté droit. Aligné. Et j’ai vu dans ses yeux, dans sa gêne, dans son embarras même, la beauté de ce combat intérieur.
Car oui, rester fidèle à ses valeurs, ce n’est pas toujours simple. C’est même souvent inconfortable. Dire la vérité, surtout quand elle pourrait décevoir ou contrarier, demande du courage. Mais le poids d’un mensonge est souvent bien plus lourd que le petit inconfort d’une vérité dite avec douceur.
Et c’est cela que je retiens : l’importance d’être enraciné dans ce qu’on croit juste. Même dans un jeu. Même dans un sourire. Parce que ces petits instants forment les fondations solides sur lesquelles se construisent les grandes personnes.
Ce jour-là, je n’ai pas eu un parfum. J’ai eu bien mieux : un fils qui a tenu bon. Qui n’a pas trahi ce en quoi il croit. Et ça, oui…
C’était un vrai cadeau du ciel.

